Décrit comme l’un des conseils américains les plus influents par le Wall Street Journal, William Bridges a consacré un ouvrage aux transitions de vie et à la manière de s’adapter aux tournants de l’existence.  Illustrant son propos de nombreux exemples issus des rites de passage propres aux sociétés tribales ou tirés des récits de la mythologie, Bridges rend son étude vivante et passionnante.

Le livre clarifie, afin de ne pas les confondre, les notions de changement et de transition:

  • « un changement, c’est un déménagement, un nouveau travail, la naissance d’un enfant, la mort d’un proche, un divorce, une maladie, l’arrivée d’un supérieur hiérarchique, ou encore une opération de fusion touchant l’entreprise où l’on travaille.  Bref, le terme « changement » désigne une réalité concrète, objective », motivée par un objectif à atteindre.
  • « le terme « transition » désigne une réalité psychologique subjective.  Il ne s’applique pas aux évènements extérieurs, mais aux adaptions internes que ces évènements impliquent ».  Cela induit un renoncement à une réalité intérieure (renoncement à une croyance, à une vision de soi-même, à une manière d’être ou à une vison du monde ou des autres). 

Tout changement n’implique donc pas nécessairement une transition.  Un nouveau travail n’est une transition qu’à condition de faire émerger une nouvelle vision de l’individu, une nouvelle conscience de la réalité ou une nouvelle idée. 

La transition est un processus, permettant à la vie de chaque individu d’avancer (progrediens).  

Elle se décline en trois étapes, symboliquement la mort, la zone neutre et la renaissance:

1ère étape: accepter de renoncer à une situation existante (fin)

«  Pour devenir autre chose, il faut d’abord cesser d’être ce que l’on est ».  

Tout commence par une fin.  Cette phase se caractérise par la nécessité de se détacher du passé.  « Pour ouvrir un nouveau chapitre, il faut savoir refermer le précédent, y compris au plus profond de son âme, là où persiste l’attachement aux personnes et aux lieux qui nous définissaient ». 

William Bridges découpe le processus de fin en cinq aspects:

le désengagement
Les prémisses d’une phase de transition se caractérisent par le fait que l’individu se désengage, de son plein gré ou non, des activités, relations, groupes, rôles auxquels il s’était identifié.  Dans les sociétés tribales, ce processus (comme le passage à l’âge adulte par exemple) conduisait l’individu à une période de mise à l’écart de la tribu, visant à le priver de ses anciens repères liés aux automatismes de son précédent rôle et des comportements qu’il adoptait.

le démantèlement
Vient ensuite le démantèlement de l’ancien univers.  Processus interne et/ou externe: mise en caisses en cas de déménagement, tri et réorganisation dans la maison en cas de divorce, reprise des affaires personnelles en cas de changement de travail, tri des affaires du défunt, etc.

la désidentification
Le démantèlement s’attaque ensuite à l’identité de la personne.  En perdant un rôle (« mari de »; « maman de », etc.) ou un titre (« head of »; « directeur financier », « avocat », « professeur d’université », etc.), l’individu peut avoir le sentiment de perdre également son identité.  C’est parce qu’à tort, le Je s’était identifié à ce qu’il faisait alors qu’il est bien plus que ça.  Cette étape vise à desserrer les liens avec la personne que l’on croyait être pour pouvoir devenir quelqu’un d’autre.  Elle se résume dans cette phrase: « Je ne suis pas ce que je devrais être et je ne suis pas ce que je vais être, mais je ne suis plus ce que j’étais ».  

le désenchantement
Arraché à son ancien univers et son ancienne identité, l’individu se rend compte que le monde dans lequel il vivait a cessé d’exister. Pouvant être qualifiée de « bas les masques », cette phase consiste à renoncer aux anciennes croyances.  On découvre que Saint-Nicolas n’existe pas; qu’un ami fidèle peut trahir notre confiance; qu’un parent peut mentir; un conjoint tromper; un homme politique être corrompu, une idole décevoir,  un collègue montrer son vrai visage, etc.  Le changement implique de renoncer aux images fictives du parent parfait, du leader irréprochable, du mari idéal ou de l’ami fidèle.  Cruciale, cette phase est le signe que nous sommes désormais prêts à voir et comprendre la réalité au-delà de notre ancienne perception du monde dont nous pensions, à tort, constituer la vérité absolue. Nous entrons en face de désapprentissage.

la désorientation 
Marquée par la confusion, la vacuité et la perte de repère, cette étape n’est pas facile à vivre.  Comme privé de sa boussole intérieure, l’individu ne sait plus où il en est.

Bridges illustre la difficulté de chacun d’entre nous de changer.  Tout notre être et notre entourage nous adressent le message de surtout ne pas changer, rester comme on est, refaire les mêmes choses.  Ces résistances contribuent à maintenir notre système en équilibre en vertu du principe d’homéostasie.  Notre principal ennemi ? Nous-même.  Une force intérieure nous pousse à rester fidèle à des comportements autrefois utiles mais désormais inadaptés. Et c’est même pire encore: nos tentatives pour sauver une situation peuvent justement conduire à sa perte.

C’est qu’il est temps de renoncer à quelque chose et cette « chose » est une réalité intérieure.  La transition implique de renoncer à une croyance, une vision de nous-même ou des autres, une attitude, un idéal, un rêve.  Il s’agit de renoncer à la personne que l’on était pour dessiner les contours de la personne que l’on souhaite devenir.

2ième étape : subir une phase intermédiaire marquée par l’incertitude, le vide, la confusion et la détresse (zone neutre ou jachère)

La zone neutre est une parenthèse marquée par le vide et l’improductivité.  La personne a besoin de solitude et de temps pour se poser face à elle-même, réfléchir, prendre du recul et s’offrir un nouveau regard sur l’existence.  C’est au coeur de cette étape que le vrai travail de transition fait son oeuvre, permettant un réalignement interne et le passage d’une saison de vie à une autre.  Le malaise que cette période peut engendrer sera d’autant mieux vécu qu’il est compris.  C’est donc le moment de s’interroger sur les causes et conséquences de ce que nous sommes en train de vivre tout en étant assuré que ce « passage à vide » est une étape du processus, nécessaire avant de se réinventer.

L’une des difficultés des sociétés modernes est d’avoir oublié l’importance de ces parenthèses dans l’existence.  La première condition pour vivre cette étape est de s’y abandonner sans chercher à remplir ce vide ou  à y échapper.  L’ornière dans laquelle on se trouve a tout son intérêt; il ne s’agit donc pas d’en sortir trop rapidement mais plutôt d’accepter de s’y enfoncer encore plus profondément.

Dans les civilisations anciennes, l’individu en transition quittait son village pour se retrouver dans un endroit inconnu, seul, dans la nature. Différents rites tels que la méditation, le chant, le jeûne, les huttes de sudation, la consommation de substances hallucinogènes favorisaient leur réceptivité à une dimension mystique.  Ces conditions créaient un état de conscience inhabituel permettant aux êtres en transition de se laisser guider par leurs rêves ou par des esprits chargés de les guider.

Dans la société actuelle, cette « zone neutre » pourrait être vécue comme un voyage solitaire, une expérience dans le désert, un jeûne, une semaine détox, une retraite de méditation, un WE thalasso, etc.  et les esprits chargés de nous guider pourraient s’incarner dans un astrologue, un kinésiologue, un thérapeute ou même être purement spirituels.

Bridges prodigue quelques conseils pour vivre cette période:

  • admettre que vous avez besoin de vivre ce moment de vide et en profiter pour en analyser les tenants et aboutissants.  Pourquoi en êtes-vous arrivé là ? Qu’êtes-vous en train de vivre ? Ces questions sont essentielles afin d’éviter soit de vouloir avancer trop vite (et risquer de repasser par « ce passage à vide ») soit de vouloir revenir à la situation antérieure, ce qui est utopique.
  • se ménager régulièrement des moments de solitude
  • tenir un journal de bord de vos expériences intimes au cours de cette période (que s’est-il passé en vous ? quelle était votre humeur ? à quoi pensiez-vous ? qu’est-il arrivé d’étonnant ? que racontent les rêves dont vous vous souvenez ?)
  • en profiter pour écrire une autobiographie car « pour savoir où l’on va, il faut savoir d’où l’on vient ».  Le passé est le reflet de perceptions qui, à tout moment, peuvent évoluer ou être rectifiées (de même pour le présent aussi d’ailleurs).
  • réfléchir à ce que vous voulez vraiment: identifier ses désirs nécessite de s’autoriser à les vivre.  L’éducation peut biaiser cette identification et la rendre confuse. C’est ici que vous pourriez notamment noter les dix regrets que vous ne voulez pas avoir en fin de vie (quelles réflexions le passé vous inspire-t-il ? quels rêves, convictions, talents, idées, qualités n’ont pas été exploités ?) ou rédiger votre notice nécrologique (outre les indications sur votre date de naissance, la mention de vos proches, de vos études, de vos postes, comment pourriez-vous compléter ces phrases: « il/elle a consacré sa vie à … » ou « au moment de sa mort, il/elle était en train de… »).
  • effectuer votre propre rite de passage afin de marquer symboliquement votre évolution intérieure: quitter votre lieu de vie habituel et vous rendre dans un endroit inconnu, avec un cadre simple, calme, une alimentation frugale; laisser le vide vous envahir, cultiver votre réceptivité et noter vos impressions, coïncidences, idées saugrenues, rêves.  Bridges suggère même de passer une nuit à veiller près d’un feu, sans rien faire d’autre que d’alimenter le feu.

3ième étape: retrouver ses marques dans une situation nouvelle (nouveau départ)

Vient enfin le moment de sortir de la « zone neutre » pour emprunter un nouveau chemin. Inutile de chercher à accélérer le tempo.  L’évolution est naturelle et correspond au moment où vous serez prêt.  Tant que le fruit n’est pas mûr, il ne sert à rien de le cueillir.  « Lorsqu’on est prêt à prendre un nouveau départ, l’occasion se présente rapidement ». 

Les premiers signes du renouveau sont intérieurs (impression de changement, naissance d’une idée, d’une image, d’un rdv, etc.).  C’est en cultivant la conscience de vous-même que vous serez aptes à écouter la résonance que ces indices créent en vous.  Vous entrez dans une nouvelle phase d’apprentissage.  

Prêt à passer à l’action, vous pouvez commencer par vous projeter à la phase d’aboutissement de ce nouveau projet (imaginez ce que vous ressentirez une fois le projet mené à bien).  Avancez étape par étape et intéressez vous au processus qui vous mène vers votre objectif plutôt qu’à l’objectif lui-même. 

Si le processus de transition est abouti,  il conduit vers un réalignement intérieur.  Vous serez en mesure d’adopter des comportements et de mettre vos talents au service de vos valeurs, de votre identité ainsi que de votre mission de vie.

Se laisser transformer par une transition, c’est assumer son unicité, suivre ses aspirations profondes, proclamer son indépendance et déterminer en toute liberté le chemin à emprunter.

L’heure du bilan de l’année:

  • Quels événements ont conduit à des changements au cours de l’année écoulée ?
    • les changements dans vos rapports aux autres
      • quels rapports se sont interrompus ? (décès, déménagement, séparation amoureuse, départ d’un enfant du domicile familial, dispute, mort d’un animal domestique, etc.)
    • les changements dans votre vie de famille
      • mariage, naissance d’un enfant, départ à la retraite d’un conjoint, maladie, guérison, reprise d’études, changement d’emploi, dépression, déménagement, travaux, tensions au sein du foyer, etc.
    • les changements personnels et financiers
      • maladie, guérison, succès/échec, changement de régime alimentaire, changement dans les heures de sommeil, dans l’activité sexuelle, reprise ou fin d’études, changement de mode de vie, d’apparence physique
    • les changements intérieurs
      • révélation d’ordre spirituel, sensibilisation sociale et politique, déclin psychologique, nouvelle image de soi, nouvelles valeurs, abandon d’un vieux rêve, découverte d’un nouveau
  • En quoi ces changements sont-ils des transitions?
    • à quoi ces changements vous ont-ils fait renoncer ?
    • quelles nouvelles visions de vous-même, idées, consciences de la réalité ont pu émerger ?
    • quels sont les signes vous indiquant la nécessité de changer et la voie à suivre ?
    • quel titre pourriez-vous donner à cette année qui est en train de se clore ? quel titre donneriez-vous à l’année qui se profile ?
      (Pour les plus artistiques d’entre vous, vous pouvez créer une représentation graphique de votre transition).
  • Deux questions à se poser lorsqu’on est en transition:
    • à quoi dois-je renoncer ?
    • qu’est-ce qui sommeille en moi et qui n’attend qu’un signe pour s’éveiller ?
  • Quelles sont les transitions les plus importantes de votre vie (de la fin de votre enfance à aujourd’hui) ? Etablissez-en une chronologie.  Quels effets ces transitions ont-elles eu sur votre évolution personnelle ?
  • Imaginez-vous au crépuscule de votre vie, vous retournant sur votre passé et, en particulier, sur la période actuelle, aurait-il mieux valu continuer sur la même voie que celle que vous empruntez aujourd’hui ou fallait-il changer ? Quels changements s’imposaient ? 

“LE PROCESSUS DE TRANSITION N’EST QU’UNE DÉVIATION SUR LA ROUTE DE L’EXISTENCE: ON QUITTE L’ARTÈRE PRINCIPALE UN CERTAIN TEMPS AVANT D’Y REVENIR” (W. BRIDGES)