« Puisque ce je me lasse, pourquoi ne pourrais-je pas le quitter ? » Orlanda, de Jacqueline Harpman ou les positions perceptuelles.
Pour ce premier article, je désirais écrire sur un thème directement lié au nom que je me suis choisi: « Free yourself »: celui de la libération et réconciliation avec soi-même.
Si vous avez déjà consulté un coach, peut-être avez-vous eu l’occasion de vous adresser à une chaise vide pour mener un dialogue fictif avec une personne avec laquelle vous étiez en conflit ou avec laquelle vous aviez des difficultés à communiquer. Vous avez ensuite été invité à vous lever et à prendre la place de la personne à laquelle vous vous adressiez. Cet exercice, appelé « positions perceptuelles » vise à élargir votre point de vue sur une situation. Invité dans la peau de « cet autre », vous faites vôtres ses pensées, émotions, valeurs, croyances. L’exercice se clôture par la prise de position de l’observateur. Debout, vous regardez ce dialogue se dérouler devant vous.
Cet exercice peut également se dérouler entre deux parties de vous-mêmes, installées sur deux chaises distinctes. Les petites voix contraires s’affrontent régulièrement dans notre tête: la passion à la raison; le plaisir à la santé; le perfectionniste à la part de liberté…. . La proposition est de faire dialoguer ces deux parties de vous. Assis sur la première chaise, vous exprimez, par exemple, tout ce que le perfectionniste a à dire. Ensuite, vous vous levez pour faire parler une autre partie de vous (par exemple, celle qui ne supporte plus ce perfectionniste, qui en souffre, qui désire vivre plus librement et légèrement).
C’est exactement l’idée que Jacqueline Harpman a mis en scène dans Orlanda. Dans cette oeuvre, Aline Berger, professeur de littérature sérieux et terne vit une scission. La part d’elle la plus forte, intrépide et vorace décide de quitter la part craintive, timide et rangée pour se loger dans le corps d’un jeune homme blond robuste. Ces deux parts vont se rencontrer au fil des pages et dialoguer ensemble.
« Puisque ce je me lasse, pourquoi ne pourrais-je pas le quitter? ». Libérée, Orlanda, la part la plus vivante d’Aline, va oser, dans un corps masculin, tout ce qu’Aline n’osait pas.
Jacqueline Harpman, romancière et psychanalyste belge, offre avec ce roman une ode à la liberté. Explorant les fantasmes refoulés, elle exhorte à se libérer du poids des conditionnements.
Orlanda est la part masculine qu’Aline a refusée lors de sa puberté. Lancée avec désinvolture par sa mère lors de ses 12 ans, la phrase « Comme tu es masculine » va marquer les premiers renoncements d’Aline jusqu’à l’enfermer dans une personnalité étriquée. Part impulsive, irréfléchie et insoumise d’Aline, Orlanda est tout ce que sa mère ne voulait pas qu’elle soit: « Chaque fois que tu te sentais sa désapprobation, tu avais peur et tu renonçais, tu voulais chasser de toi ce qui la dérangeait. Mais je dois être la preuve vivante qu’on ne chasse rien, je me suis lentement accumulé en toi au fil des années ».
Aline va se transformer au contact d’Orlanda et se rendre compte qu’elle ne peut vivre sans cette part d’elle-même. « Nous qui connaissons la légende, nous savons que les deux moitiés brûlent de se retrouver et de reconstituer l’unité perdue ». Le roman s’achève par le meurtre d’Orlanda, commis par Aline. Orlanda réintègre Aline. La fusion s’accomplit. Aline s’en trouve grandie. Elle y retrouve son audace, sa liberté et son esprit d’aventure, cadenassés depuis ses 12 ans. Réconciliée avec sa part masculine, Aline offre une plus grande amplitude à sa vie. Plus consciente de son être, sa part masculine, ses désirs physiques, son énergie intègrent désormais le champ de sa conscience.
Ce roman invite au dialogue avec soi-même afin de nous éveiller à ce qui ne l’était pas et parvenir ainsi à un état de complétude. Plus conscients des parts refoulées, nous regagnons la liberté de choisir de les intégrer à notre vie et de leur donner libre expression.
- Qui est ce Je ?
- Quelles sont les parties de nous que le Je raisonnable et conditionné a muselées ?
- Si nous devions, ne fut-ce qu’une journée, quitter notre corps pour un autre, qui est ce autre que nous choisirions ?
- A quels attributs rêverions-nous de gouter ?
- Quelles sont les limites que notre éducation nous a imposées et qui sont autant d’obstacles à notre propre réalisation ?
- Et, enfin, est-on une prison pour soi-même ?
Voici, parmi d’autres, quelques questions auxquelles la lecture de ce livre peut nous inviter.