Pour clôturer l’année, ce n’est pas un mais deux livres que je vous présente. Le hasard fait que j’ai simultanément lu un livre sur les transitions de la vie et le roman « Dans la forêt ». Considérant le premier comme un « outil de travail », je le parcourais pendant les heures creuses de mes journées tandis que le second m’accompagnait sous la couette. Ce n’est qu’arrivée au 3/4 du roman que je fus frappée de l’analogie entre les deux: le roman « Dans la forêt » est une puissante illustration du modèle de transition décrit par William Bridges. Effondrement d’une civilisation. Transition d’un monde. Transition de vies.
Tout commence par une fin nous dit Bridges. Et c’est bien de cela dont il s’agit dans le roman de Jean Hegland. L’ Amérique s’effondre: plus d’électricité, plus d’essence, les magasins sont pillés, la famine guette, les épidémies ravagent les survivants et les guerres font rage. Au coeur de ce monde vacillant, Nell et Eva, âgées de 17 et 18 ans, tentent de survivre sans leurs parents dans la maison familiale au coeur de la forêt.
La première phase de ce processus de transition se caractérise par leur difficulté à renoncer à leur passé. « Je dois lutter contre mon envie de m’accrocher à tout ce que nous possédons encore » constate Neil. « Quand je pense à la façon dont nous vivions, à la désinvolture avec laquelle nous usions les choses, je suis à la fois attirée et pleine de nostalgie ». « Je veux vivre avec abandon, avec la grâce insouciante du consommateur au lieu de m’accrocher comme une vieille paysanne qui se tracasse pour des miettes ». Ce n’est pas qu’aux choses matérielles qu’elles s’accrochent mais également à tout ce qui constituait leur identité dans « le monde d’avant »: leur passion respective pour la danse et la lecture. Eva continue à s’entrainer à la barre, sans lumière et sans musique tandis que Nell étudie l’encyclopédie, alimentant son rêve d’entrer à Harvard.
Ce faisant, Jean Hegland illustre à merveille les résistances que chacun d’entre nous peut ressentir face au changement. Comme si tant notre cerveau que notre entourage nous envoyaient ce message: “ne change pas, continue d’être celui que tu étais, refais les mêmes choses”. Ces résistances visent à maintenir notre “système” en équilibre, en vertu du principe d’homéostasie.
Différentes épreuves vont cependant amener Neil et Eva à se détacher irrévocablement de leur passé. Elles vivent une sorte de parcours initiatique. Comme le dit Bridges, « pour devenir autre chose, il faut d’abord cesser d’être ce que l’on est ». Ce processus lent, solitaire et irrégulier, se vit non sans souffrances. C’est la seconde phase du processus, qualifié par Bridges de « zone neutre ». Cette période de flottement, au cours de laquelle l’identité devient incertaine et les comportements tâtonnants, se clôture en ultime rituel de purification. Les deux soeurs brûlent la maison de leurs parents, renonçant définitivement à leur passé et aux promesses qu’il contenait. Si, précédemment, elles avaient pu confondre leur identité avec leurs passions pour la danse et la lecture, elles ont désormais compris qu’elles ne se résument ni à ce qu’elles faisaient ni à ce qu’elles avaient. « J’ai laissé une maison entière de choses dont nous pensions autrefois avoir besoin pour survivre et je suis sortie ».
Le vernis recouvrant leur identité profonde s’est écaillé, libérant enfin l’expression de leur essence. « Tout ce qu’on a, c’est nous ». Ce qu’elles ont traversé leur a été nécessaire pour leur offrir la possibilité de se réinventer et s’ouvrir au renouveau. C’est ainsi que s’achève le roman: par un acte radical, prenant source dans leur foi en la forêt et la nature.
Lors d’une interview, Jean Hegland souligne que ce roman questionne notre rapport à la nature, les liens de sororité ainsi que notre manière de consommer face à une planète qui s’épuise.
L’auteure pose ensuite deux questions essentielles :
- de quoi l’être humain a-t-il véritablement besoin ?
- que reste-t-il au coeur de l’Homme lorsque tout vacille autour de lui ?
Je vous laisse découvrir ses réponses: https://www.youtube.com/watch?v=gVgNTuj8z3I.
Quant à moi, je vous invite à méditer sur ces questions:
- Quelles sont les épreuves qui vous ont permis de vous rapprocher de votre essence profonde ?
- Avez-vous déjà vécu – à l’échelle de vos vies – une sorte de parcours initiatique ?
- Quel homme nouveau, quelle femme nouvelle en est sortie ?
- Quel rapport entretenez-vous avec la nature ?
- A l’échelle de l’humanité (environ 300 000 ans), que représente la société industrialisée (début XIXième siècle) ? Jean Hegland semble en parler comme une « fugue dissociative », une amnésie prolongée marquant le flottement entre deux « vraies vies », qu’en pensez-vous ?
- De quoi sera dès lors faite la « vraie vie » qui nous attend ?
A vous, à nous de la construire.
Sur ce, je vous souhaite une excellente année 2019 !
Caroline